Le Loup et l'Agneau, de La Fontaine
INTRODUCTION
La Fontaine, fabuliste et moraliste français du XVIIe siècle classique écrit ses Fables, en 1671 dont est extraite Le Loup et l’Agneau (livre I, fable 10). Après la chute de Fouquet son protecteur, il se consacre à une critique de la société de son époque à travers ses fables. Ainsi, celles-ci renferment les observations qu'il en fait en mettant en scène des animaux. On parle donc de bestiaire allégorique. La plupart de ses fables sont en fait une réécriture des récits d'Ésope qu'il adapte à sa propre époque. Néanmoins, leur message reste toujours universel et atemporel. Le Loup et l’Agneau présente un dialogue entre un agneau innocent et un loup puissant. Dans cet apologue, comme s’effectue l’articulation entre récit et morale ? Le Loup et l’Agneau comporte toutes les caractéristiques de l’apologue, mais présente également une structure particulière, puisque inversée. La morale étant placée avant le récit et le dialogue.
I). Une fable qui respecte les caractéristiques de l’apologue
a). Un contexte spatio-temporel gommé
Dans ce texte le contexte spatio-temporel est gommé. En effet, le texte ne nous donne aucune indication du temps. Le récit se fait simplement à l’imparfait (« désaltérait », « cherchait »…). De plus, l’espace dans lequel se situe la scène est indéfini. Sa description reste assez vague : « une onde pure », « au fond des forêts ». C’est grâce à cette absence d’indication temporelle et à cette description très floue de l’environnement que La Fontaine parvient à vraiment mettre l’accent sur le message et le rapport de force.
b). La morale et le récit
Nous venons de montrer que le contexte spatio-temporel (décrit dans la fable) était gommé. C’est ce manque de détails qui permet ensuite de donner l’impression d’une morale généralisée, atemporelle et universelle. Bref, une morale valable dans n’importe quel contexte et n’importe quelle époque : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». De plus, la morale utilise le présent gnomique ce qui sert encore une fois ce désir d’atemporalité et d’universalité. Enfin, la présence des allégories et de personnages stéréotypés permet d’élargir le sujet à un public plus large.
c). Un récit allégorique
Ce récit présente plusieurs allégories aussi bien au niveau des personnages que dans la description de l’environnement. Ainsi, on retrouve une très forte opposition entre l’ « onde pure » et le « fond des forêts ». En effet, l’« onde pure » fait référence à un cours d’eau et en rappelle la transparence et la lumière cristalline qu’il renvoie (« pure »). Le « fond des forêts » donne quant à lui l’impression d’une atmosphère sombre et inquiétante. Dans les contes et récits relevant de l’imaginaire les bois sont en effet très connotés… Les articles indéfinis (« un agneau », « un loup ») permettent aussi une typification des acteurs. Cette typification des personnages est visible dans les qualificatifs que l’on utilise pour les caractériser. Par exemple le Loup est « plein de rage » et c’est une « bête cruelle », qualificatifs qui lui sont souvent associés, de même que les références à sa faim qui sont typiques (ex : « à jeun », « que la faim en ces lieux attirait »).
Transition : Cette fable présente peut-être des caractéristiques typiques de l’apologue, mais a également une structure particulière que l’on qualifiera d’inversée.
II). Le récit à l’appui de la morale, une structure inversée
a) La morale placée au début
Dans cette fable, la morale est très ironique. En effet, le Loup bien qu’agissant sous la pulsion et bien qu’étant totalement dépourvu de raison est celui dont « la raison…est toujours la meilleure », puisqu’il est le « plus fort » des deux. Cette fable présente donc un schéma inversé puisqu’elle donne raison au plus fort, au méchant mais l’auteur souhaite en fait critiquer ce genre de comportement. La figure de style de l’ironie, omniprésente dans ce texte, visant en fait à ce que l’on comprenne le contraire de ce qui est dit. De plus, la structure de la fable est elle-même inversée. En effet, La Fontaine a utilisé une mise en exergue. Cela signifie que la morale est placée au début tandis que le récit (l.3-6 et 27-29) et le dialogue (l. 7-26) sont ensuite alternés. Le dialogue est donc central alors que le récit est une toile de fond, il ne semble que l’encadrer. Cependant, en analysant bien le texte, on se rend compte que c’est dans le récit que la morale et le dialogue sont expliqués. C’est dans celui-ci qu’ils prennent leur sens. Ainsi, on a une explication de la conduite du loup avant même que celui-ci n’agisse. Nous savons déjà que celui-ci n’agit que par la faim, c’est elle seule qui le guide. Dans cette fable, on connait dès le départ les raisons du crime (avant même que celui-ci n’ait lieu) et la morale de l’histoire. Ainsi, le dialogue ne sert à rien, l’agneau argumente en vain, le Loup ayant déjà décidé de ce qu’il allait faire. De plus, dans le discours du Loup, les rôles sont totalement inversés. Le Loup se posant en victime vis-à-vis de l’Agneau qui serait son bourreau : « vous ne m’épargniez guère ».
b). La dramatisation progressive et l’opposition des personnages viennent renforcer l’aspect ignoble de la conduite du Loup
Cette inversion qui caractérise la fable est renforcée par la dramatisation progressive que l’on peut observer dans la fable, qui renforce l’ironie de la scène ainsi que l’attitude totalement arbitraire et dépourvue de raison qu’exerce le Loup qui est un puissant. En effet, la dramatisation progressive appuie l’allégorie. Ainsi, au début du récit, l’atmosphère semble paisible et stable (ex : le mot « onde »). Le passage lui-même est d’ailleurs très harmonieux, ce qui vient renforcer cette impression. Cela est visible par l’utilisation de l’imparfait (« se désaltérait »). Celui-ci exprime ainsi une action inachevée dans le passé, et celle de consonnes liquides (r, l, m, n) et de dentales (son en « d » tels que « désaltérait, « onde » et « dans ») qui reproduisent un peu le rythme de l’eau qui coule. Néanmoins, cet aspect paisible est totalement rompu avec l’arrivée du Loup. Cette rupture est renforcée par l’utilisation du présent « survient ». Ce verbe de mouvement est brutal, il marque cette irruption du Loup qui est immédiatement perçu comme une menace. Ainsi, l’Agneau apparait comme étant posé et très raisonnable. De plus, il est d’emblée associé à l’ « onde pure »; tandis que le Loup est un prédateur à l’état pur, que ses pulsions gouvernent. Dans sa façon d’agir, la raison n’a aucune place, il est dominé par la « rage ». Tout ce qui lui importe est l’« aventure ». On le voit par exemple dans sa façon de traiter l’Agneau, dès le départ il l’accuse d’avoir commis un crime : « hardi » et « témérité ». Il affirme que l’Agneau a souillé son eau (« troubler », « tu la troubles »). Le discours du Loup est condensé en phrases très courte, ce qui en fait une arme. Les arguments qu’il donne sont absurdes. Cependant, il domine la fin du discours (l.23-28) par sa parole et interrompt l’Agneau « c’est donc quelqu’un des tiens ». On voit ainsi que le discours du Loup présente une véritable violence verbale et qu’en dominant le discours celui-ci s’avère être le vainqueur. En effet, le Loup a un discours très polémique et utilise beaucoup le champ lexical de la punition « châtié » qu’il accentue avec le futur « tu seras ». Cela ajouté à son utilisation du tutoiement en opposition à l’Agneau qui reste très respectueux (« votre majesté ») fait en sorte que le Loup domine vraiment sur tous les plans, qui est très répressif et que le sort de l’Agneau est déjà scellé. Ce dernier ne faisant pas le poids face à son adversaire. L’ensemble de la situation présentée dans la fable devient ainsi absurde et l’ironie va jusqu’à mentionner que l’on vient de tenir un faux procès.
c). Un dialogue absurde qui donne l’impression d’un faux procès
La fable présente un dialogue absurde entre les deux personnages. En effet, le discours de l’agneau est articulé (« par conséquent », « mais »…). Ses arguments sont logiques et basés sur le réel (« je tette encore ma mère », « je n’ai point de frère »… + les lignes portant sur le fait qu’il se désaltérait). Son discours est bien cadencé. Par opposition, le Loup se livre à un réquisitoire absurde et très polémique. En effet, son discours semble avoir tous les attributs d’un argumentaire, il est articulé : « c’est donc » (x2), « il faut ». Cependant, les arguments qu’il utilise sont absurdes, ils ne sont nullement pas basés sur des faits et ne servent, en bout de ligne, qu’à justifier ses actes cruels. Il use de sa force sans aucune raison valable et prend une position accusatrice. À ses propos absurdes vient s’ajouter la pseudo culpabilité de l’Agneau. En effet, le Loup l’accuse de le maltraiter, puis voyant que l’Agneau lui-même ne lui a rien fait, il lui impute une culpabilité collective en tant que frère d’un coupable puis en tant que représentant des bergers et des chiens. Cet élargissement artificiel d’une pseudo culpabilité montre bien que le Loup a déjà décidé du sort de l’Agneau. Il use tout simplement de mauvaise foi pour chercher à prouver la culpabilité de ce dernier (ex : « on me l’a dit »)… Enfin, on peut observer une ambivalence du mot « procès » (utilisé à la fin du texte) : celui-ci n’a pas vraiment eu lieu. On a plutôt assisté à une parodie de procès dans laquelle le Loup, qui accuse, s’est autoproclamé victime. Le passage « sans autre procès », plutôt que de marquer la conclusion d’un procès sert à marquer l’absence de celui-ci.
CONCLUSION
Cette fable, mettant en scène des personnages typifiés et des lieux stylisés, symboliques présente une histoire effrayante et cruelle. En effet, le Loup, par sa présence subite, vient briser l’harmonie ambiante et s’acharne sur un pauvre agneau innocent. La structure inversée, présentant la morale au début, nous montre déjà la réaction du loup et nous donne la raison de ses agissements avant que celui-ci ne les exécutent. Ainsi, le dialogue devient absurde, car l’agneau présente des arguments solides et rationnels, tandis que le loup essaie par tous les moyens de le rendre coupable et apparaît ainsi comme étant cruel. Ainsi, on assiste à une parodie de procès où les rôles de victime et de coupable sont inversés. Nous pouvons faire le lien entre cette fable et Les animaux malades de la peste, qui présentent chacune un semblant de procès et donne raison aux puissants.
|
|
© Baccalauréat Préparation EAF 2012 - Tous droits réservés