Bel-Ami, de Guy de Maupassant (excipit II, 10)
INTRODUCTION
Ce texte constitue la fin du roman ou excipit. Tandis que l’incipit mettait en place tous les éléments nécessaires au commencement de l’intrigue, l’excipit lui montre le triomphe de Georges Duroy un arriviste sans scrupule. Réussite qui ne s’est pas faite sans fracas ou quelques pertes. Bel-Ami a eu une ascension fulgurante en se servant de gens proches de lui, pouvant lui apporter une aide quelconque ou lui apprendre des choses. La fin du roman montre le mariage de Bel-Ami avec Suzanne. Là encore certains éléments montrent l’hypocrisie de Duroy. Quel bilan est fait, dans cet excipit, du parcours de Bel-Ami et marque-t-il nécessairement une fin ? Nous parlerons d’abord du sacre de Bel-Ami, mettrons ensuite l’accent sur l’ironie omniprésente dans le texte et enfin nous nous attarderons sur la portée de cette fin.
I) Le sacre de Bel-Ami
a) Bel-Ami, le roi
Bel-Ami croit être le centre de l’attention, il a le sentiment d’être « un roi qu’un peuple venait acclamer » (l.3), cette métaphore semble être préparée par les jeux de mots sur son nom : Georges Du Roy. Le fait qu’il pense cela et que le passage soit en focalisation interne donne l’impression qu’il est fou / ivre, il semble trop sur de lui, même si il parait « affolé » (l.2) devant toute cette foule. En effet il apparaît dans le texte qu’il « balbutiait des mots qui ne signifiaient rien » (l.3-4), il semble dépassé par la situation, mais aussi très content de pouvoir se montrer à son avantage, ce passage reflète encore une fois l’ambiguïté du personnage. Duroy est fidèle à lui-même, il est obnubilé par sa propre personne et ne pense qu’aux apparences, il ne se soucie de rien d’autre.
b) La foule
Dans ce passage la foule est décrite par Bel-Ami comme étant une foule « amassée » (l.25), « noire » (l.25) et « bruissante » (l.26), il pense que celle-ci est venue pour lui, il la considère comme « le peuple de Paris », qui le « contemplait et l’enviait ». Pour Duroy cette foule amassée est le symbole de sa réussite, dans l’incipit il était dans la foule, dans ce même peuple qui l’acclame aujourd’hui. Pour Bel-Ami, la foule n’est qu’un reflet de ce qu’il a recherché tout au long du livre : des « acclamations » et des « compliments » (l.4), enfin bref être connu de tous. Toute la scène est perçue comme un spectacle offert à la foule, elle parait artificielle. Cela donne une impression de décalage avec ce qu’il vient de se produire, cette scène ne semble pas à sa place à cause du mariage qui vient d’avoir lieu, d’ailleurs je crois que le rappel fréquent de celui-ci est fait pour que nous ne l’oublions pas. C’est un mariage spectacle, qui ressemble à une parade royale, avec le côté majestueux qui la caractérise.
II) Un texte emprunt d’ironie
a) La profanation d’un lieu sacré
L’attitude de Duroy après son mariage et la présence du champ lexical religieux (« l’office » l.1, « la sacristie »l.2, « l’église » l.20) donne l’impression d’une profanation de l’église. En effet, il existe dans le texte une opposition entre le fait que la scène se passe dans une église et le manque de valeurs morales visible chez Bel-Ami. Le regard qu’a Duroy sur la scène qui se déroule sous ses yeux exprime parfaitement sa façon de penser. Dans ce passage il y a une alternance entre la focalisation interne et externe, néanmoins les moments où Bel-Ami en est le narrateur permettent au lecteur d’entrer dans l’intimité du personnage et de connaître toutes ses pensées : Champ lexical du regard et du triomphe (« acclamations, « compliments »), sans oublier, bien étendu, le champ lexical du désir qui sert à décrire sa rencontre avec Mme de Marelle.
b) L’expression d’un désir adultère
Le passage avec Mme de Marelle exprime bien le manque de valeurs morales des personnages, celle-ci est présente au mariage alors qu’elle a été la maîtresse du marié. Non seulement cela, mais Duroy ne regarde qu’elle et ne pense qu’à elle. Il éprouve du désir pour elle et ces quelques instants sont une sorte de moment d’intimité entre les deux personnages. Dans ce passage, Duroy est d’autant plus hypocrite envers Suzanne qui n’est qu’à peine mentionnée : « Georges reprit le bras de Suzanne » (l.20).Le désir que Duroy éprouve pour Clotilde est exprimé par l’utilisation du champ lexical de la sexualité (« baisers » l.5, « caresses » l.6, « gentillesses » l.7, « goût de ses lèvres » l.7), on voit dans cette description que le désir sexuel que peut éprouver Duroy est centré sur Clotilde, Suzanne n’est qu’une autre conquête ajoutée à son tableau de chasse. Ce désir éprouvé par Duroy est exprimé de façon très significative dans le texte, en particulier par le mot « lit » qui clôt le roman. Le texte montre aussi que ce désir est partagé par les deux personnages, par exemple avec la phrase : « leurs yeux se rencontrèrent » (l.14). Bel-Ami éprouve aussi l’envie d’aller plus loin, il souhaite faire carrière dans la politique (« il semblait qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au Palais de Bourdon »).
c) L’hypocrisie bourgeoise
Dans cette scène la mariée disparaît complètement et est occultée par la maîtresse. Ici elle semble plutôt être un objet qu’une personne à part entière, son mari ne semble lui porter qu’un intérêt limité, en effet le premier terme d’amour évoqué s’adresse à Clotilde : « Je t’aime toujours, je suis à toi ». Suzanne semble être une sorte de proie facile pour des hommes sans scrupule, comme Georges Duroy. On peut aussi penser que Bel-Ami se montre hypocrite envers Clotilde, car dans le livre il a toujours prétendu tenir à elle, mais il n’a pas hésité à séduire toutes les femmes qui pouvaient l’aider dans son ascension et ce sous son né. Par moment il s’est même servi du fait qu’il était sans le sous pour que soit elle qui paye quand ils sortaient, cela l’embêtait un peu au départ, mais il s’est très vite accoutumé.
III) Caractérisation de cette fin du roman
a) Une fin cyclique
Cet excipit donne l’impression d’une fin cyclique, il semble que Bel-Ami n’a pas changé intérieurement. Au début du roman, il était déjà trop sûr de lui et voulait à tout pris réussir; à la fin du roman, deux ans et demi plus tard sa situation s’est améliorée de manière spectaculaire, néanmoins il veut s’élever encore d’avantage. Non seulement le dénouement ne donne pas l’impression que Bel-Ami a acquis des valeurs morales, mais qu’il en a perdu le peu qu’il lui restait en faisant toutes ces manigances et en se servant de tout ce que les gens de son entourage pouvaient lui apporter de manière à monter plus vite. La fin du livre montre que Duroy va recommencer sa relation avec Clotilde (cf : Champ lexical du désir) et de nouveau séduire toutes les femmes qui pourraient lui servir.
b) Une fin ouverte
Cette fin est aussi ouverte, elle laisse au lecteur le soin d’imaginer une suite au roman. En donnant toutefois les bases de cette suite, comme par exemple l’idée d’une reconversion de Duroy dans la politique (« il semblait qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au Palais de Bourdon »), ou encore la projection du schéma de ses relations amoureuses dans le futur (« Mais il ne les voyait point, sa pensée revenait maintenant en arrière, et devant ses yeux ébolouis par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit ». Elle enlève aussi l’idée d’un bon, désormais l’avenir de Bel-Ami n’est plus aussi incertain.
CONCLUSION
Dans cet excipit, Bel-Ami apparaît comme il était au début du livre, comme un personnage arriviste, prêt à tout pour s’élever. Il semble aussi trop sur de lui et imbu de sa personne, il n’a toujours pas de valeurs morales et en a perdu le peu qu’il lui restait. On sait aussi qu’il va encore s’élever dans la société, par les mêmes moyens, en séduisant les femmes, qu’il reprendra sa relation avec Mme de Marelle et divorcera certainement d’avec Suzanne. La seule différence d’avec l’incipit est que son ascension a déjà eu lieu.
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